Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/358

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faut se rappeler que les disciples, dont l’esprit étroit ne se prêtait pas à cette haute indifférence pour la qualité de fils d’Abraham, ont bien pu faire fléchir dans le sens de leurs propres idées les instructions de leur maître[1]. En outre, il est fort possible que Jésus ait varié sur ce point, de même que Mahomet parle des juifs, dans le Coran, tantôt de la façon la plus honorable, tantôt avec une extrême dureté, selon qu’il espère ou non les attirer à lui. La tradition, en effet, prête à Jésus deux règles de prosélytisme tout à fait opposées et qu’il a pu pratiquer tour à tour : « Celui qui n’est pas contre vous est pour vous ; » — « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi[2] » Une lutte passionnée entraîne presque nécessairement ces sortes de contradictions.

Ce qui est certain, c’est qu’il compta parmi ses disciples plusieurs des gens que les juifs appelaient « hellènes[3] ». Ce mot avait, en Palestine, des sens

  1. Ce qui porte à le croire, c’est que les paroles bien certainement authentiques de Jésus, les Λόγια de Matthieu, ont un caractère de morale universelle, et ne sentent en rien le dévot juif.
  2. Matth., xii, 30 ; Marc, ix, 39 ; Luc, ix, 50 ; xi, 23.
  3. Josèphe le dit formellement (Ant., XVIII, iii, 3), et il n’y a pas de raison pour supposer ici une altération dans son texte. Comp. Jean, vii, 35 ; xii, 20-21.