Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/40

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Chassez l’illusion de l’histoire religieuse par une porte, elle rentre par une autre. En somme, on citerait à peine dans le passé une grande chose qui se soit faite d’une façon entièrement avouable. Cesserons-nous d’être Français, parce que la France a été fondée par des siècles de perfidies ? Refuserons-nous de profiter des bienfaits de la Révolution, parce que la Révolution a commis des crimes sans nombre ? Si la maison capétienne eût réussi à nous créer une bonne assise constitutionnelle, analogue à celle de l’Angleterre, la chicanerions-nous sur la guérison des écrouelles ?

La science seule est pure ; car la science n’a rien de pratique ; elle ne touche pas les hommes ; la propagande ne la regarde pas. Son devoir est de prouver, non de persuader ni de convertir. Celui qui a trouvé un théorème publie sa démonstration pour ceux qui peuvent la comprendre. Il ne monte pas en chaire, il ne gesticule pas, il n’a pas recours à des artifices oratoires pour le faire adopter aux gens qui n’en voient pas la vérité. Certes, l’enthousiasme a sa bonne foi, mais c’est une bonne foi naïve ; ce n’est pas la bonne foi profonde, réfléchie, du savant. L’ignorant ne cède qu’à de mauvaises raisons. Si Laplace avait dû gagner la foule à son système du monde, il n’aurait pu se borner aux démonstrations mathématiques. M. Littré, écrivant la vie d’un homme qu’il regarde comme son maître, a pu pousser la sincérité jusqu’à ne rien taire de ce qui rendit cet homme peu aimable. Cela est sans exemple dans l’histoire religieuse. Seule, la science cherche la vérité pure. Seule, elle donne les bonnes raisons de la vérité, et porte une critique sévère dans l’emploi des moyens de conviction. Voilà sans doute pourquoi jusqu’ici elle a été sans influence sur le peuple. Peut-être, dans l’avenir, quand le peuple sera instruit, ainsi qu’on nous le fait espérer, ne cédera-t-il qu’à de