Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/413

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son action, ou, pour mieux dire, l’un de ses points d’appui ; car il avait un sentiment trop profond de son œuvre véritable pour l’établir uniquement sur des principes aussi fragiles, aussi exposés à recevoir des faits une foudroyante réfutation.

Il est évident, en effet, qu’une telle doctrine, prise en elle-même d’une façon littérale, n’avait aucun avenir. Le monde, s’obstinant à durer, la mettait en défaut. Un âge d’homme tout au plus lui était réservé. La foi de la première génération chrétienne s’explique ; mais la foi de la seconde génération ne s’explique plus. Après la mort de Jean, ou du dernier survivant quel qu’il fût du groupe qui avait vu le maître, la parole de celui-ci était convaincue de mensonge[1]. Si la doctrine de Jésus n’avait été que la croyance à une prochaine fin du monde, elle dormirait certainement aujourd’hui dans l’oubli. Qu’est-ce donc qui l’a sauvée ? La grande largeur des conceptions évangéliques, laquelle a permis de trouver sous le même symbole des idées appropriées à des états intellectuels très-divers. Le monde n’a point fini, comme Jésus l’avait annoncé, comme ses disciples le croyaient. Mais il a été renouvelé, et en un sens renouvelé comme Jésus le voulait. C’est parce

  1. Ces angoisses de la conscience chrétienne se traduisent avec naïveté dans la IIe épître attribuée à saint Pierre, iii, 8 et suiv.