Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/452

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révolution française, par exemple, eussent dû être préalablement convaincus par des méditations suffisamment longues, tous fussent arrivés à la vieillesse sans rien faire. Jésus, de même, visait moins à la conviction régulière qu’à l’entraînement. Pressant, impératif, il ne souffrait aucune opposition : il faut se convertir, il attend. Sa douceur naturelle semblait l’avoir abandonné ; il était parfois rude et bizarre[1]. Ses disciples, à certains moments, ne le comprenaient plus, et éprouvaient devant lui une espèce de sentiment de crainte[2]. Sa mauvaise humeur contre toute résistance l’entraînait jusqu’à des actes inexplicables et en apparence absurdes[3].

Ce n’est pas que sa vertu baissât ; mais sa lutte au nom de l’idéal contre la réalité devenait insoutenable. Il se meurtrissait et se révoltait au contact de la terre. L’obstacle l’irritait. Sa notion de Fils de Dieu se troublait et s’exagérait. La divinité a ses intermittences ; on n’est pas fils de Dieu toute sa vie et d’une façon continue. On l’est à certaines heures, par des illuminations soudaines, perdues au milieu de longues

  1. Matth., xvii, 17 (Vulg. 16) ; Marc, iii, 5 ; ix, 19 (Vulg. 18) ; Luc, viii, 45 ; ix, 41.
  2. C’est surtout dans Marc que ce trait est sensible : iv, 40 ; v, 15 ; ix, 31 ; x, 32.
  3. Marc, xi, 12-14, 20 et suiv.