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Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/519

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la bouchée et l’offrit à Judas. Jean et Pierre seuls eurent connaissance du fait. Jésus adressa à Judas quelques paroles qui renfermaient un sanglant reproche, mais ne furent pas saisies des assistants. On crut que Jésus lui donnait des ordres pour la fête du lendemain, et il sortit[1].

Sur le moment, ce repas ne frappa personne, et, à part les appréhensions dont le maître fit la confidence à ses disciples, qui ne comprirent qu’à demi, il ne s’y passa rien d’extraordinaire. Mais, après la mort de Jésus, on attacha à cette soirée un sens singulièrement solennel, et l’imagination des croyants y répandit une teinte de suave mysticité. Ce qu’on se rappelle le mieux d’une personne chère, ce sont ses derniers temps. Par une illusion inévitable, on prête aux entretiens qu’on a eus alors avec elle un sens qu’ils n’ont pris que par la mort ; on rapproche en quelques heures les souvenirs de plusieurs années. La plupart des disciples ne virent plus leur maître après le souper dont nous venons de parler. Ce fut le banquet d’adieu. Dans ce repas, ainsi que dans beaucoup d’autres[2], Jésus pratiqua son rite mysté-

  1. Jean, xiii, 21 et suiv., qui lève les invraisemblances du récit des synoptiques.
  2. Luc, xxiv, 30-31, 35, représente la fraction du pain comme une habitude de Jésus.