Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/81

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fère considérablement de celui des synoptiques. De l’autre, il met dans la bouche de Jésus des discours dont le ton, le style, les allures, les doctrines n’ont rien de commun avec les Logia rapportés par les synoptiques. Sous ce second rapport, la différence est telle, qu’il faut faire son choix d’une manière tranchée. Si Jésus parlait comme le veut Matthieu, il n’a pu parler comme le veut Jean. Entre les deux autorités, aucun critique n’a hésité, ni n’hésitera. À mille lieues du ton simple, désintéressé, impersonnel des synoptiques, l’Évangile de Jean montre sans cesse les préoccupations de l’apologiste, les arrière-pensées du sectaire, l’intention de prouver une thèse et de convaincre des adversaires[1]. Ce n’est pas par des tirades prétentieuses, lourdes, mal écrites, disant peu de chose au sens moral, que Jésus a fondé son œuvre divine. Quand même Papias ne nous apprendrait pas que Matthieu écrivit les sentences de Jésus dans leur langue originale, le naturel, l’ineffable vérité, le charme sans pareil des discours contenus dans les Évangiles synoptiques, le tour profondément hébraïque de ces discours, les analogies qu’ils

  1. Voir, par exemple, chap. ix et xi. Remarquer surtout l’effet étrange que font des passages comme Jean, xix, 35 ; xx, 31 ; xxi, 20-23, 24-25, quand on se rappelle l’absence de toute réflexion qui distingue les synoptiques.