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DINDES

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I


Elle se pavane au milieu de la cour, comme si elle vivait sous l’Ancien Régime.

Les autres volailles ne font que manger toujours, n’importe quoi. Elle, entre ses repas réguliers, ne se préoccupe que d’avoir bel air. Toutes ses plumes sont empesées et les pointes de ses ailes raient le sol, comme pour tracer la route qu’elle suit : c’est là qu’elle s’avance et non ailleurs.

Elle se rengorge tant qu’elle ne voit jamais ses pattes.

Elle ne doute de personne, et, dès que je m’approche, elle s’imagine que je veux lui rendre mes hommages.

Déjà elle glougloute d’orgueil.

— Noble dinde, lui dis-je, si vous étiez une oie, j’écrirais votre éloge, comme le fit Buffon, avec une de vos plumes. Mais vous n’êtes qu’une dinde…

J’ai dû la vexer, car le sang monte à sa tête. Des grappes de colère lui pendent au bec. Elle a une crise de rouge. Elle fait claquer d’un coup sec l’éventail de sa queue et cette vieille chipie me tourne le dos.

II

Sur la route, voici encore le pensionnat des dindes.

Chaque jour, quelque temps qu’il fasse, elles se promènent.

Elles ne craignent ni la pluie, personne ne se retrousse mieux qu’une dinde, ni le soleil, une dinde ne sort jamais sans son ombrelle.