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LES MOUCHES D’EAU

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Il n’y a qu’un chêne au milieu du pré, et les bœufs occupent toute l’ombre de ses feuilles.

La tête basse, ils font les cornes au soleil.

Ils seraient bien, sans les mouches.

Mais aujourd’hui, vraiment, elles dévorent. Acres et nombreuses, les noires se collent par plaques de suie aux yeux, aux narines, aux coins des lèvres même, et les vertes sucent de préférence la dernière écorchure.

Quand un bœuf remue son tablier de cuir, ou frappe du sabot la terre sèche, le nuage de mouches se déplace avec murmure. On dirait qu’elles fermentent.

Il fait si chaud que les vieilles femmes, sur leur porte, flairent l’orage, et déjà elles plaisantent un peu :

— Gare au bourdoudou ! disent-elles.

Là-bas, un premier coup de lance lumineux perce le ciel, sans bruit. Une goutte de pluie tombe.

Les bœufs, avertis, relèvent la tête, se meuvent jusqu’au bord du chêne et soufflent patiemment.

Ils le savent : voici que les bonnes mouches viennent chasser les mauvaises.

D’abord rares, une par une, puis serrées, toutes ensemble, elles fondent, du ciel déchiqueté, sur l’ennemi qui cède peu à peu, s’éclaircit, se disperse.

Bientôt, du nez camus à la queue inusable, les bœufs ruisselants ondulent d’aise sous l’essaim victorieux des mouches d’eau.