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feuilles de salade et ne s’amuse qu’à les déchirer.

Quand il pique une graine pour de bon, pour l’avaler, il fait peine. Il la roule d’un coin à l’autre du bec, et la presse et l’écrase, et tortille sa tête, comme un petit vieux qui n’a plus de dents.



Son bout de sucre ne lui sert jamais. Est-ce une pierre qui dépasse, un balcon ou une table peu pratique ?

Il lui préfère ses morceaux de bois. Il en a deux qui se superposent et se croisent et je m’écœure à le regarder sauter. Il égale la stupidité mécanique d’une pendule qui ne marquerait rien. Pour quel plaisir saute-t-il ainsi, sautillant par quelle nécessité ?

S’il se repose de sa gymnastique morne, perché d’une patte sur un bâton qu’il étrangle, il cherche de l’autre patte, machinalement, le même bâton.

Aussitôt que, l’hiver venu, on allume le poêle, il croit que c’est le printemps, l’époque de sa mue, et il se dépouille de ses plumes.

L’éclat de ma lampe trouble ses nuits, désordonne ses heures de sommeil. Il se couche au crépuscule. Je laisse les ténèbres s’épaissir autour de lui. Peut-être rêve-t-il ? Brusquement, j’approche la lampe de sa cage. Il rouvre les yeux. Quoi ! c’est déjà le jour ? Et vite, il recommence de s’agiter, danser, cribler une feuille, et il écarte sa queue en éventail, décolle ses ailes.

Mais je souffle la lampe et je regrette de ne pas voir sa mine ahurie.

J’ai bientôt assez de cet oiseau muet qui ne vit qu’à rebours, et je le mets dehors par la fenêtre… Il ne sait pas plus se servir de la liberté que d’une cage. On va le reprendre avec la main.



Qu’on se garde de me le rapporter !

Non seulement je n’offre aucune récompense, mais je jure que je ne connais pas cet oiseau.


LE PINSON

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Au bout du toit de la grange, un pinson chante. Il répète, par intervalles égaux, sa note héréditaire. À force de le regarder, l’œil trouble ne le distingue plus de la grange massive. Toute la vie de ces pierres, de ce foin, de ces poutres et de ces tuiles s’échappe par un bec d’oiseau.

Ou plutôt la grange elle-même siffle un petit air.