Page:Renard - L’Écornifleur, Ollendorff, 1892.djvu/42

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Je ne soutiens pas aujourd’hui que le pauvre seul a du talent, mais peu s’en faut. Ce sera pour une autre conférence.

— « Ne vous attristez pas », me dit Madame Vernet.

— « Bah ! c’est le souvenir. On en parle pour parler. Les jours sont meilleurs maintenant. Mais j’en ai vu de rudes. Un jour j’avais encore oublié de dîner, oublié volontairement. Je cherche dans mes poches, rien. Mon porte-monnaie était plat comme un mendiant. Je cherche dans mon placard où je mets ma bouteille de chartreuse pour les deux ou trois amis qui me viennent voir, mon plateau et mes verres, et je découvre un morceau de charcuterie. Il était semé de taches d’un bleu noir ainsi que des dents cariées. L’odeur me poursuit encore. J’ai vécu avec lui vingt-quatre heures, à le regarder. »

Est-ce que je ris ? Est-ce que je me moque ? Candide et grave, je parle de ma chambrette, de mes petites affaires, de ma petite table de toilette, et de ma petite bibliothèque, où sont rangés mes petits livres. Ma gaîté est forcée et niaise, et il me semble que des larmes retombent au dedans de moi, une à une. Je ne pen-