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L’ŒIL CLAIR


j’y vais tous les soirs. J’ai beau dire que je n’irai plus, et que ça m’ennuie, et que ça m’écœure, et que ça me vieillit, et que c’est du temps perdu, j’y vais.

Rien à dire de la pièce qui n’est pas plus et pas moins bête qu’une autre.

Les gens disent : Je ne trouve pas ça mal du tout, moi — l’air étonné, comme s’ils étaient venus avec la certitude qu’une pièce de théâtre ne peut être qu’une ordure.

Devant moi une forte dame dit à sa voisine :

— Hein, c’est étudié !

Elle ajoute qu’elle se lève trois ou quatre fois par nuit pour s’assurer que son chien n’est pas malade, et qu’elle ne peut plus voyager parce qu’il a trop de chagrin. "Je suis bête, dit-elle, avec mon chien. "

Et elle dit ça comme elle dirait :

" J’aime cet homme d’un amour sans espoir. "

Sa voisine a, près d’elle, une jeune fille qui se destine au théâtre, et qui regarde à chaque instant du côté de la loge du grand critique.

La mère lui a donné, à plusieurs reprises, le point de direction : " Là, derrière nous, un peu à gauche. "

Mais la jeune fille ne peut pas bien voir, parce qu’elle est myope, dit-elle, presque aveugle.