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LETTRES À L’AMIE


les pierres jetées par votre voisine dans votre champ. Vous riez. Et les quatre petits de Marguerite ? Les plaignez-vous ?

— C’est vrai qu’ils ne sont pas cause.

— Et pourtant ils crient la faim.

— Ils s’habituent, dit Nanette.

— Si Jésus-Christ vous entendait !

— Puisque je n’ai fait de mal à personne, il sauvera mon âme.

— Et votre cœur, Nanette ! Vous pensez toujours à votre âme, jamais à votre cœur. Je voue jure qu’au Paradis, Dieu n’acceptera pas l’un sans l’autre.

— Vous prêcheriez bien, dit Nanette. C’est égal, Marguerite a de la chance de n’être pas du pays. Des gens riches lui paient son pain, son lait. Elle a de la chance. Si je demandais du pain à la commune, elle me répondrait : Vous avez un champ, la vieille, vendez-le.

— Elle aurait raison. La commune est pauvre.

— Je ne veux pas vendre mon champ. Je le garde, parce que j’ai un petit-fils.

— C’est votre affaire, Nanette, mais trouvez juste qu’on donne d’abord à ceux qui n’ont rien, rien du tout. Pas même un petit champ comme vous.