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Pendant qu’une voiture l’attendait en un point fixé, l’autre, silencieusement, obscurément, l’avait suivi et, à son tour, au lieu dit, s’était transformée en barricade.

Le docteur se vit bloqué. La torpédo ne pouvait plus lui être d’aucun secours. Il l’arrêta le plus promptement possible, et tenta de se jeter à travers bois, décision prévue par ses adversaires, puisque l’un d’eux, posté dans le taillis, l’avait abattu d’un coup de feu avant qu’il eût fait quatre pas.

Cette hypothèse s’ajustait aux faits, et c’était la seule que rien ne vînt contredire. Que les assassins eussent attiré le malheureux dans une embuscade, ou qu’ils eussent tendu leur piège sur son chemin connu, ainsi finalement s’était déroulée la tragédie. L’enquête éclaircirait sans doute le mystère, elle ferait ressortir les raisons du meurtre, les motifs du vol, et l’on saurait pourquoi une telle mise en œuvre avait été déployée contre un modeste médecin de province. Cela ne regardait plus les gendarmes. Ils avaient fait leur devoir.

Juliaz prit des notes pour son procès-verbal. On chargea sur la charrette, réquisitionnée à cet effet, la dépouille de l’infortuné docteur, et les deux cavaliers, enfourchant leurs montures, lui firent escorte jusqu’à Belvoux.

Consignons cependant qu’à la croisée du chemin de Trivieu, ils relevèrent une divergence dans les pistes des trois autos fuyant le théâtre du crime. L’une des deux grosses voitures avait tiré vers Trivieu, tandis que l’autre, accompagnée de la torpédo volée, continuait d’emprunter la route de Belvoux. On suivait leurs traces jusqu’à l’entrée du bourg, où le pavé ne permettait plus de rien distinguer.

Le Dr Bare habitait dans la Grande-Rue. Il était huit heures du matin lorsque Juliaz tira la sonnette, sachant qu’il n’y avait pas de scènes pénibles à redouter, le défunt étant célibataire et vivant seul avec un petit domestique.

Celui-ci vint ouvrir, se montrant pâle et défait. Il s’était levé une heure auparavant et, depuis lors, parcourait la maison sans savoir que faire, ayant reconnu l’absence de son maître et le cambriolage du coffre-fort, des armoires, des classeurs et du bureau.

Le lieutenant de gendarmerie l’interrogea presque aussitôt. Et voici, à peu près, ce qu’il en obtint :

— M. le docteur a travaillé hier soir dans son cabinet, comme d’habitude ; quand je suis monté me coucher, j’ai vu de la lumière sous la porte. Je n’étais pas encore endormi, et neuf heures venaient de sonner à Saint-Fortunat, lorsque j’ai entendu le timbre du téléphone. Quelques minutes plus tard, M. le docteur a monté l’escalier, et il m’a dit à travers la porte de ma chambre : « Auguste ! Dors-tu ? » — « Non, monsieur le docteur. » — « On vient de me téléphoner de Salamont. La receveuse des postes a une hémorragie. On me dit qu’elle est mourante. J’y vais. Je n’ai pas besoin de toi. Je reviendrai pour minuit. » Et il a ajouté : « Il faut vraiment que ce soit la receveuse des postes, pour qu’on me téléphone à cette heure-ci ! » Là-dessus, il s’est en allé. J’ai vu le jour des phares dans la cour (parce que ma lucarne donne sur la cour), j’ai entendu la voiture qui sortait par la rue de la Botasse, puis M. le docteur qui fermait le portail derrière lui… Et c’est tout pour hier soir.

« Dans la nuit, le bruit de l’auto qui rentrait m’a réveillé. Je me suis mis à la lucarne pour demander si M. le docteur avait besoin de moi. Je l’ai vu sur le pas de la remise. Il me tournait le dos. Il m’a répondu : « Non. Dors. » en éteignant