Page:Renard - La Lanterne sourde, Coquecigrues,1906.djvu/123

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CANARD SAUVAGE


À Henri Mazel.


— Allez, Levraut, apportez donc !

Mais ces cris, poussés d’une voix forte, étaient vains. M. Mignan eut recours aux menaces et aux insultes. Levraut bondissait à hauteur d’homme ou faisait le chien couchant, ou, le nez très bas, au bord de l’eau, l’arrière-train roidi comme un arc-boutant, semblait se braquer sur le canard blessé. Parfois, il s’éloignait de son maître à l’abri d’une poussée qui l’eût culbuté dans la rivière. Le canard battait de l’aile, pulvérisait l’eau autour de lui, bien malade. Levraut, fort chien d’arrêt au poil ras, luttait contre sa peur de l’eau glacée, et, entêté, se dressait sur ses pattes de derrière, violemment. M. Mignan vit le canard s’agiter encore avec frénésie, allonger le cou, se coucher sur l’eau, et s’en aller doucement à la dérive, emporté mort par le courant. Il pensa :

— Cette fois, je suis sûr de l’avoir !

Il lança des pierres afin d’exciter Levraut au bain. Il voulut l’attirer à lui par des paroles trompeuses, en se tapotant le genou du bout des doigts. Mais Levraut gardait sa prudence et ses distances.