Page:Renard - La Lanterne sourde, Coquecigrues,1906.djvu/142

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moi, et à mon âge, j’ai encore peur de bien des choses. Où sont les disparus du pays ? Dans la Cave de Bîme, pour sûr, égarés, perdus !

— Pauline est une libertine, dit une vieille. Sait-elle où se trouve seulement la Cave de Bîme ?

— Oui, là-bas, vers la rivière, dit Pauline. J’ai regardé dedans, moi aussi. C’est un trou, voilà tout, un puits qui n’a pas d’eau, où des grenouilles crèveraient.

— Tu as regardé dedans, la nuit ?

— La nuit, je dors, dit Pauline.

— Le jour, on fait le malin, reprit papa Iaudi. C’est la nuit qu’on a peur. On a moins peur quand la lune éclaire. Tenez, ce soir, teilleriez-vous du chanvre dans ma cour, autour de moi, paisibles, si Elle n’était pas là ?

Les veilleurs levèrent la tête du côté de la Grande Veilleuse. Ceux qui lui tournaient le dos pivotèrent sur leurs chaises. Elle était là, proche et discrète, avec sa bonne face humaine, comme venue exprès pour écouter Iaudi… Sa lumière abondante, dont profitait le ciel entier, ne fatiguait pas les yeux. Et pourtant, on y voyait très bien. On aurait lu de l’imprimé.

— J’aime mieux la lune que le soleil ! dit une femme.

Tous, fiers de pouvoir la fixer, lui sourirent, tranquillisés. Ils ne lui posèrent pas de questions. Ils la contemplaient, malgré les progrès de la science, comme une gardienne au visage plein, non comme un astre instructif, avec ou sans habitants.

Les veilleurs, d’un geste uniforme, se remirent à