Page:Renard - La Lanterne sourde, Coquecigrues,1906.djvu/149

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


L’ENFANT PRODIGUE


Nous sommes dans la cour, sur deux rangs, immobiles, près de partir. L’adjudant a circulé derrière nous, visité discrètement nos baïonnettes et noté leurs taches de rouille. Le capitaine, à cheval, va tirer son sabre.

Mais un monsieur paraît et s’avance. Il est de ceux dont on dit qu’ils ont un certain âge. Il tient son chapeau à la main, et ses yeux nous semblent rouges d’avoir pleuré. Il parle au capitaine qui se penche. Il se tourne de notre côté et cherche des yeux l’un de nous. Il l’a vite trouvé, et mon voisin de droite, Lotu, murmure :

— Tiens, papa !

Le père lui crie : « Misérable ! Misérable ! » et agite le poing comme s’il voulait le jeter.

— Allons, dit Lotu, entre ses dents, d’une voix si basse qu’elle m’arrive à peine, ça commence ! Toujours le même, mon papa, il ne doute de rien. Écoutez.

Le père continue de crier :

— Tu es la honte de la famille ; tu déshonores mes cheveux blancs.

— Poivre et sel, tes cheveux, papa, poivre et sel