Page:Renard - La Lanterne sourde, Coquecigrues,1906.djvu/212

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elle ? Qu’est-ce qu’ils veulent donc ? faire mieux que moi, autre chose. N’ai-je pas tenu de semblables propos, il y a un demi-siècle, et, maintenant, je relis mon œuvre, une fois l’an, au printemps.

Plaît-il ? tu convoites ma place, avide gamin. Ah ! malheur à ceux qui réussissent trop jeunes ! Tous les enfants précoces sont morts. Ma vie se prolonge parce que je me suis développé tard.

Je te dis cela, pour t’encourager à me laisser tranquille. Tu viens indiscrètement à la maison. Tu t’y embêtes à m’entendre parler sans cesse de ma personne, tu abîmes mes collections, et, toi parti, nous perdons un quart d’heure, ma bonne et moi, à compter les traces de ta tête huilée.

J’ai patiemment dressé moi-même mon glorieux gâteau. Je n’y ajoute plus rien parce qu’il est assez haut et que j’ai peur de monter sur les chaises, mais je crains qu’on ne l’écorne et je veille. Tu rôdes autour. Ta turbulence m’effraie. Écoute une proposition que tu serais gentil d’accepter. Tu passerais quelquefois dans ma rue. J’ouvrirais ma fenêtre et je te ferais un signe de tête amical. Tu dirais à tes petits amis : « Je viens de voir le vieux. » Je dirais : « La jeune génération ne m’oublie pas. » Et nous pourrions entretenir ainsi jusqu’à ma mort lointaine des relations charmantes.

On sonne, je parie que c’est toi. Misère de misère. Joseph ! n’oubliez pas dans cinq minutes le coup du : « Monsieur est servi ! »