Page:Renard - La Lanterne sourde, Coquecigrues,1906.djvu/23

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l’aigrette rouge de l’artilleur rallie tous les yeux.

Parfois les porteurs déposent doucement à terre grand’mère Licoche. Non que la défunte soit vraiment lourde : elle vécut de peu, partagea son bien avec ses poules qu’elle retrouvera, exemptes à jamais de pépie, dans un paradis réservé aux bêtes à bon Dieu, et elle mourut décharnée. Mais elle pèse parce qu’elle est morte. Les porteurs profitent de l’arrêt, se retournent et regardent, en soufflant, l’artilleur.

Son uniforme sombre et son sabre qui doit couper impressionnent.

Les vieilles gens même de la queue n’osent pas échanger leurs réflexions.

À l’église, le petit-fils de grand’mère Licoche reste près d’elle, de garde, face à l’autel, sentinelle funèbre, l’œil toujours sec, le sabre au défaut de l’épaule.

Mais au bord de la fosse, dès qu’avec des cordes les porteurs ont descendu la bière, il s’anime. On le voit écarter les jambes, lever ses basanes comme des sacs, et frapper du pied en cadence le sol du cimetière.

Les assistants se demandent :

— Qu’est-ce qu’il a ? Est-il fou ?

Ceux qui déjà se lamentaient se contiennent. On devine qu’il simule une manœuvre à cheval. Les coudes au corps, sa main libre étreignant des guides imaginaires, il s’élance, charge sur place. La terre fraîche s’éboule sous ses pas. Une grosse motte tombe, heurte le cercueil, et ce choc sourd résonne dans toutes les poitrines comme un coup de canon lointain.