LA FONTAINE SUCRÉE
Tiennot se désaltère dans l’eau d’une fontaine. Sa main d’abord lui sert de tasse ; puis il préfère boire à même, couché sur la fontaine où trempent son menton et son nez. Quand il souffle, il regarde des bêtes et le petit panache blanc de l’eau qui sourd.
— Elle est bonne, dit-il, mais je crois que sucrée elle serait meilleure.
Il court au village, achète un morceau de sucre et, la nuit venue, retourne, sans se faire voir, le déposer dans la fontaine.
— Demain matin, dit-il, tout seul je me régalerai.
Les hommes dorment encore que Tiennot quitte son lit et se hâte vers la fontaine.
Avant de goûter l’eau, il dit, les lèvres en suçoir :
— Ah ! qu’elle est fameuse !
Il se penche, la goûte et dit, les lèvres rentrées :
— Oui. Non. Elle n’est pas plus sucrée qu’hier.
Il s’ébahit, les yeux sur son image déconfite.
— Dieu ! que je suis bête ! s’écrie-t-il ; un enfant comprendrait : l’eau coule, et mon sucre fondu a coulé comme elle. Il est sorti de la fontaine et se sauve à travers le champ ; il ne doit pas aller vite, je le rattraperai.