Aller au contenu

Page:Renard - La Lanterne sourde, Coquecigrues,1906.djvu/280

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


PETITES MANŒUVRES


De vingt-huit jours en vingt-huit jours la théorie change et suit, comme le reste, le progrès universel. Aujourd’hui c’est un essai de commandements par gestes. Notre lieutenant tend la main à droite et nous allons à droite, en avant et nous marchons en avant. Il baisse les bras, on s’arrête. Il s’agenouille, on s’agenouille, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il se couche pour nous faire coucher.

En ce moment, du doigt, il nous désigne une ferme perchée sur le coteau. Nous nous élançons ; les fusils brimbalent ; les lourds sacs dansent sur les dos ronds. On dirait que des colporteurs vont s’arracher l’acheteur qui les attend là-haut.

Nous y voilà ; nous n’avons pas poussé un cri. La ferme et le verger sont à nous. L’ennemi a mangé les œufs, hélas ! les pommes et les prunes ; mais il s’est éclipsé, discrètement, lui aussi, comme par une fausse porte d’église.

Et voici qu’après la poudre sans fumée, on nous promet la poudre sans bruit, et peut-être qu’un jour, chut ! parlons bas ! vingt mille hommes, muets de rage, s’entretueront dans un tel silence qu’on entendra une mouche voler.