Page:Renard - La Lanterne sourde, Coquecigrues,1906.djvu/50

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— Prévenir à neuf heures ! quel manque d’éducation !

— Mieux vaut tard que jamais, dit M. Bornet. Cependant, calme-toi, gros mérinos, tu vas tourner !

— Oh ! tu peux rire. C’est du joli ! Cette fois le gâteau est bel et bien perdu.

— Nous le mangerons demain à déjeuner.

— Si tu crois que j’achète des gâteaux pour notre ordinaire.

— Sans doute : mais puisque nous ne pouvons pas faire autrement, résignons-nous.

— Soit, gaspillons notre fortune, dit Mme Bornet.

Dépitée comme maîtresse de maison, elle passa une nuit mauvaise, avec de brusques coups de reins, tandis que son mari dormait légitimement et rêvait peut-être sucreries à la vanille.

— Il se réjouit déjà, pensait-elle.

Chose promise, chose due. Au déjeuner, la bonne apporta, non sans précautions, le gâteau sur la table. M. et Mme Bornet le contemplèrent. Il s’était affaissé. La crème avait jauni, fuyait par les fentes, et les éclairs s’y noyaient peu à peu. Autrefois semblable à quelque château fort, il ne rappelait maintenant aucune construction connue, parmi celles, du moins, qui ne sont pas encore écroulées. M. Bornet garda pour lui ces remarques, et Mme Bornet se mit à découper les parts. Préoccupée de les faire égales, elle disait à son mari :

— Tu guignes la plus grosse, hein ! vieux gourmand !

Son couteau disparut sous les flots de crème croulante, gratta l’assiette, agaçant les dents, mais