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Page:Renard - La Lanterne sourde, Coquecigrues,1906.djvu/57

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M. Bornet n’a même pas un geste de mépris. Il exerce par degrés les pressions accoutumées. Il semble pétrir une figurine de glaise. Il n’accomplit rien à la légère. S’il s’aperçoit que le bouchon a grandi d’une ligne, il se repose, et laisse l’effet se produire. Il donne aussi d’amicales tapes au ventre, au derrière de la bouteille. Parfois il l’incline, comme une arme chargée, dans la direction d’une poitrine, d’une gorge ouverte. Mais il rassure aussitôt ces dames :

— N’ayez pas peur, je suis là !

— C’est crispant, dit Mme Bornet, prends un tire-bouchon et finis-en, à la fin !

— Prendre un tire-bouchon pour déboucher une bouteille de Champagne, répond M. Bornet, syllabe par syllabe ; j’ai, dans ma longue vie, entendu des choses prodigieuses, mais celle-ci l’emporte, je l’avoue.

Il observe, sournois, ses invités.

Les bustes se penchent en arrière, forment ensemble, autour de la table, un large calice évasé. Chaque dame apprête un cri original. Les petits doigts se blottissent dans les oreilles. Une assiette sert d’éventail. Un monsieur, qu’on approuve, exprime en beaux termes la gêne commune :

— J’ai été soldat, dit-il, je ne crains pas la mort. Tirez un coup de canon et vous verrez si je sourcille ! Mais, Dieu ! que ceci m’énerve donc ! c’est plus fort que moi.

— Oui, dit un docteur pourtant habitué aux enfantements pénibles, inutile de nous torturer davantage. Nous avons tous fait nos preuves. Dépêchez-vous.