Page:Renard - La Lanterne sourde, Coquecigrues,1906.djvu/68

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ment quelque effet. D’ailleurs aujourd’hui on réussit des bijoux dans le genre.

Cependant les Navot continuent leurs signes. Sans doute ils crient :

— Dépêchez-vous !

Les Bornet descendent vers la Marne et se gardent de se hâter.

— C’est bon, on y va, dit M. Bornet. Que d’embarras, mon Dieu !

— D’abord, dit Mme Bornet, nous aussi, nous aurions un bateau, si nous voulions, en nous gênant un peu.

Lentement, ils s’avancent à pas raccourcis, affectent de baisser la tête, de la détourner ou d’observer le ciel. Certes, leur intention n’est pas de rompre avec les Navot. Ils se promettent même d’admirer poliment, selon les usages du monde, mais ils viennent d’entendre se casser avec un bruit sec le premier des fils minces qui servent à attacher les cœurs et Mme Bornet conclut :

— Si je ne suis qu’une femme, je ne suis pas femme pour rien, je n’oublierai de ma vie leur procédé. Et toi ?

Sans répondre, M. Bornet lui prend la main.

— Halte ! dit-il. Ma pauvre vieille, nous sommes fous !

Mme Bornet obéit, le regarde, regarde du côté des Navot et dit :

— Mon pauvre vieux, voilà du chimérique !

Ils se frottent les yeux, en écartent des effiloches de brumes et se croient aveugles. Puis ils se mettent à rire, silencieusement, comme deux Indiens, épaule