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La jeune fille du yacht



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Jacques Cernay regarda sa montre. Sept heures et demie.

— Allons ! dit-il à haute voix. Il faut regagner Reims. Partons.

Il était seul, par une splendide matinée de juillet, dans un lieu dévasté qu’il aimait passionnément. Autour de lui s’étendait ce qui avait été le vieux domaine familial de Saint-Nicaise : jadis une grande maison très ancienne, un parc profond, une rivière et ses cygnes, les plus beaux arbres du monde, des vergers enchanteurs, des pâturages, des potagers, de vastes communs, des étables et des écuries. Aujourd’hui, des ruines, des broussailles, quelques cloaques. La mort.

— Cette fois, c’est bien fini ; je ne reviendrai plus.

Malgré l’immense joie qui, depuis quelque temps, lui gonflait le cœur, la vue de ce paysage désespéré lui causait une souffrance dont il ne connaissait que trop la voluptueuse horreur. Depuis dix ans, depuis que la guerre avait fait de Saint-Nicaise ce chaos, cette brousse et ce désert, il y était revenu vingt fois pour goûter la douleur étrange et précieuse de contempler le passé à même ses débris. Il lui semblait que le spectre de son enfance était resté dans ce coin de Champagne, avec les ombres de tous ceux et de toutes celles qui, en même temps que lui, avaient vécu les beaux étés d’autrefois. Tandis qu’il errait à travers les décombres et les buissons, il se sentait accompagné d’une escorte infiniment chère