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le docteur lerne, sous-dieu

eut un si profond silence que je pus me croire tout à coup aveugle et sourd.

Puis mes yeux se dessillèrent peu à peu, et bientôt le croissant lunaire apparut, neigeant sur la nuit froide. La forêt s’éclaira d’une blancheur glacée. Je frissonnai. Du vivant de ma tante, c’eût été de terreur ; j’aurais vu, dans le noir où rampaient des vapeurs, se vautrer des dragons et glisser des serpents. Un hibou s’envola. J’en eusse fait le casque ailé d’un paladin, — ensorcelé. Le bouleau, planté droit, luisait d’un reflet de lance. Fils peut-être de l’arbre magique, époux de la princesse Léélina, certain chêne frémit. Il était énorme et druidique ; une boule de gui pendait à sa maîtresse branche, et la lune la traversa d’une faucille reluisante et sacrée.

Certes, le paysage nocturne était hallucinant. — Faute de mieux, j’y méditai. — Sans comprendre pourquoi aussi bien qu’aujourd’hui, j’en ressentais naguère toute la suggestion, et, le soir venu, je ne m’aventurais au dehors qu’à regret. Fonval lui-même était, je crois, malgré ses fleurs innombrables et ses belles allées sinueuses, l’endroit le plus rébarbatif. Ancienne abbaye transformée en château, ses fenêtres ogivales, son parc centenaire habité de statues, l’eau morte de son étang, ce précipice qui l’étreignait, cette entrée d’Enfer, tout cela le rendait singulier, même à l’aurore, et l’on n’aurait pas été surpris que chacun s’y fît comprendre au moyen de fables. C’eût été le vrai langage.