Page:Renard - Le Maitre de la Lumiere, 1948.djvu/101

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
99
le maître de la lumière

que peu de distance. Ce que voyant, César eut recours aux grands expédients. Les charpentiers décoincèrent les mâts et enlevèrent les épontilles ; les caliers vidèrent les réservoirs d’eau des extrémités.

Grâce à ces mesures suprêmes, le corsaire, allégé, assoupli, mais n’offrant plus à la houle qu’une faible résistance et courbant sa mâture devenue flexible, bondit sur les flots. Et, peu à peu, les marins de l’empereur virent l’éloigner dans l’ombre la silhouette penchée du grand vaisseau où déjà, braquant sa longue-vue, César avait distingué les canonniers occupés à mettre en place les pièces de chasse.

La poursuite, cependant, n’était pas terminée. L’ennemi, loin d’y renoncer, s’attachait à sa proie, espérant quelque fortune de mer qui la mettrait à sa merci. Et, de fait, en conséquence des extrêmes mesures que l’anglais, lui aussi, avait sans doute prises, le soleil se leva sur des conjectures incertaines. À vrai dire, l’espace s’était augmenté de la poupe de la Finette à la proue de la frégate acharnée, mais celle-ci, courant au plus près, ne semblait nullement désespérer.

Une ardeur si tenace devait céder à la science marine du capitaine César, stimulée par son amour de la liberté.

Sur le soir, après vingt-quatre heures d’une fuite épuisante, un « hourrah » vigoureux monta de la Finette. À l’horizon, toute petite dans la distance, la frégate virait de bord. On vit, comme elle tournait, luire ses bouches à feu.

Ce serait mal connaître César que de croire qu’il cessa tout à coup d’entretenir sa vitesse. Il la maintint, et, par surcroît, « fit fausse route » pour tromper le retour possible de l’autre. Ainsi, cinglant plus à l’est, il s’enfonça davantage vers les mers qui sont les déserts du monde liquide.

Au matin, alors qu’il méditait sur sa mésaventure et qu’il déplorait la perte de toute cette eau potable dont la nécessité l’avait obligé à se délester, il fit le point et se rembrunit.

Nous devons noter ici que, nulle part, dans sa relation, pourtant secrète, le capitaine César Christiani n’a indi-