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le maître de la lumière

délai. Le mieux était d’en finir une bonne fois et sans tergiverser. Ne pas s’attarder vainement, douloureusement, à des regrets superflus, à des rêves sans fondement. Passer à la suite de l’existence, vite, vite ; entasser de la vie sur l’impossible songe, le reculer précipitamment au fond d’un passé où l’on accumulerait avec frénésie, pour s’étourdir, événement sur événement, irréparable sur irréparable.

La demande que Luc venait de lui faire, elle s’était promis de la susciter elle-même, avant leur départ, s’il avait continué à se tenir sur la réserve. C’était la meilleure solution, la plus franche, la plus courageuse — et la plus prudente. Aussi bien, pendant tout le temps qu’elle était restée auprès de Charles Christiani sans se faire connaître de lui, elle avait gardé la ferme résolution d’annuler, aussitôt après, ces heures de roman soustraites en fraude à la nécessité. Elle s’était juré alors de reprendre immédiatement le fil de la destinée interrompue et de se fiancer à Luc de Certeuil dès le lendemain, ayant fait au rêve et à l’amour une concession, — une seule pour toute la vie.

Geneviève Le Tourneur, consultée les jours précédents, avait approuvé énergiquement la décision de Rita. Oui, tout était bien qui effacerait le plus tôt possible le souvenir de Charles Christiani. Elle encouragea son amie et la félicita de sa sagesse. Rita s’était sentie très forte, stoïque, presque contente d’accomplir avec intrépidité un acte de devoir et de renoncement… « Renoncement ? avait-elle dit, mais à quoi donc est-ce que je renonce ? À rien, hélas ! Puisque c’est impossible ! » Là-dessus, Geneviève lui avait représenté qu’en se fiançant à Luc de Certeuil elle travaillait à la tranquillité, à l’apaisement de Charles Christiani qui, sans doute, n’était pas, en ce moment, plus heureux qu’elle.

Rita voulait donc que Luc la demandât en mariage ce jour-là. Elle avait fait des vœux pour qu’il en prît l’initiative. Tout à l’heure, en s’asseyant sur ce banc, elle avait songé :

« Pourvu qu’il parle ! »

Et maintenant qu’il avait parlé, une affreuse détresse lui étreignait le cœur. Il lui semblait que tout à coup on