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le maître de la lumière

savoyarde qui se troublait en approchant de Silaz, et cette idée le charmait encore d’un étrange agrément secret, lorsqu’il aperçut les toits de tuiles du manoir et sa tour carrée.

Tout cela fut dissipé en une seconde. Le visage de Claude lui rappela instantanément qu’il n’était pas venu à Silaz pour n’y goûter qu’un repos romantique.

Le vieil homme était accouru, aux clameurs du clackson, aussi vite que son âge le lui permettait. Proprement vêtu de son costume des dimanches, il leva ses mains travailleuses dans un geste presque adorateur, primitif et touchant.

— Oh ! Monsieur Charles !

La joie et l’effarement se combinaient sur sa figure : une joie toute neuve, au-dessus d’un effarement antérieur, qu’elle ne parvenait pas encore à effacer. Il avait son chapeau à la main, il était chauve, sa bonne moustache grise accentuait le hâle étonnamment foncé de son teint ; les cordes de son cou disparaissaient dans l’encolure d’une chemise de grosse toile blanche, vestige des temps anciens.

— Je ne peux pas vous dire, Monsieur Charles, comme je suis content de votre venue !

— À cause du servant ? dit Charles en riant.

— Comment c’est-il que vous le savez ? Je n’ai rien mis sur mes lettres ? s’étonna le gardien de Silaz.

Mais Péronne, à son tour, s’en venait, sous son bonnet blanc tuyauté, essuyant ses mains à son tablier bleu. Bonne face simple, pétrie d’honnêteté et de dévouement, de bon sens aussi ; deux yeux fidèles comme on n’en voit guère, tant ils exprimaient, pour Charles, de respectueuse soumission.

Ménage paradoxal ! Couple bizarre qui n’était pas un couple, mais une couple plutôt. Claude et Péronne vivaient là, depuis leur jeunesse, au service de la famille Christiani. Aucun autre lien ne les unissait, mais ils s’entendaient à merveille, en camarades, et jamais entre eux rien n’était venu déranger cette amitié. Vieux garçon, vieille fille, ayant « du bien » chacun dans son village, ils restaient à Silaz, contents de servir les mêmes maîtres avec une même probité.