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le maître de la lumière

mise souple s’ouvrait négligemment, très large, maintenu par une cravate de soie, ajustée au petit bonheur.

Ce n’était pas un homme de notre époque. Et pourtant Charles Christiani le connaissait comme lui-même. Car il avait devant lui, de l’autre côté de la fenêtre dans la petite chambre haute, le personnage que représentait certain tableau romantique, certain portrait plein de vie et d’allure, pendu dans le salon de la rue de Tournon… Seuls, manquaient à la ressemblance absolue un fusil dans une main, une lunette d’approche dans l’autre, un pistolet passé dans une ceinture rouge, un perroquet sur l’épaule.

Bref, si incroyable que ce fût, Charles voyait se mouvoir, voyait vivre (ou plutôt revivre) dans cette nuit de septembre 1929, qui ? On l’a deviné :

César Christiani, ancien capitaine corsaire de S. M. l’Empereur Napoléon Ier, mort assassiné à Paris, 53 boulevard du Temple, le 28 juillet 1835, à l’âge de soixante-six ans.

Frémissant d’une fièvre indescriptible, Charles dévorait des yeux le spectacle inacceptable. Puis, brusquement, il revint à la conception rationnelle des choses. La mystification était montée avec soin, très intelligemment et, sans aucun doute, le visait, lui, Charles Christiani. Car une telle reconstitution n’aurait pu émouvoir particulièrement ni Claude, ni Péronne, ni l’un des villageois du voisinage.

Il observa donc plus froidement l’individu déguisé et la scène qu’il jouait pour son spectateur clandestin.

C’était bien fait, c’était bien joué. Parfaite imitation du vieux loup de mer, âgé d’environ soixante ans ; le geste bourru, la prestance originale et on ne savait quoi de suranné, de passé, d’étranger à notre temps. Et la lampe ! La vieille lampe à huile du premier Empire, qui était toujours dans le cabinet du rez-de-chaussée, où le mystificateur l’avait dérobée à l’insu de Claude !…

Cependant, le personnage poursuivait ses recherches avec une admirable conviction, sur les tablettes de la bibliothèque. Il fit semblant de trouver ce qu’il feignait de désirer : une liasse de papiers. Ensuite, il retourna au