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le péril bleu

souleur suffisait à occire. Il avait beau s’efforcer d’envisager sérieusement l’histoire des hommes volants et des aigles ne volant pas, — de ce monde renversé, de cette saturnale de la création, — il n’y parvenait pas, et la traitait en lui-même de machinerie théâtrale et de tour d’illusionniste, ou de craque.

Malgré les remontrances de tous, malgré l’anxiété de sa mère, il partait souvent pour la montagne, seul, et peignait des aquarelles d’après nature. Il disait qu’il avait besoin de se faire la main pour exécuter les planches en couleurs d’un traité d’ichtyologie. Il affichait une confiance, une insouciance extraordinaires, et ne manquait pas une occasion de s’évader, si petite qu’elle fût. Quand il y avait des courses à faire, il s’en chargeait, et, dans la grande auto blanche qu’il s’amusait à conduire, c’est lui et le mécanicien qui allaient aux provisions.

En cet équipage, le second jeudi du mois de juin, Maxime se rendit à Belley, la réserve de carbure de calcium ayant besoin d’être renouvelée. (On s’était décidé, en effet, à remonter les deux projecteurs ; et chaque nuit, à présent, leur double rayon virait au faîte de la tour, qui ressemblait ainsi à quelque moulin fantasmagorique, avec des ailes de caprice et de feu.)

Or donc, Maxime Le Tellier revint, aux premières ombres du soir, vers Mirastel.

Au sortir de Ceyzérieu, — bâti sur la hauteur, en face du château et de l’autre côté de la plaine marécageuse, — la beauté de la vue soudaine le transporta.

Une mer de brouillard submergeait les fonds. Villages, clochers mêmes avaient disparu. Les vapeurs élevaient leur feutre impondérable jusqu’à la ligne des manoirs. Le couchant, roi des ors et des ombres, découpait superbement le Colombier, faisait saillir ses arêtes et creusait l’entaille de ses sillons. La nuit montante avait déjà conquis le bas de la croupe, mais les hautes roches flamboyaient encore. Un lourd nuage empanachait la cime, pareille alors au cratère d’un volcan. Il y avait dans ce paysage quelque chose d’antédiluvien. Maxime croyait vivre cent mille ans plus tôt, lorsque