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l’amorce

Ils se rendirent, sur la pointe des pieds, à la galerie. On appelait ainsi un large corridor qui longe l’arrière-façade, au premier étage.

— « Le bourdonnement se rapproche », murmura l’aveugle. « Ou plutôt, c’est nous qui nous en rapprochons. Jean, vous ne sentez pas ? Il fait si calme pourtant. »

— « Si : je commence », chuchota M. Le Tellier. « C’est comme une petite mouche qu’on aurait dans le cœur, emprisonnée… Arrêtons-nous. »

Ils allaient arriver à la première fenêtre de la galerie.

— « Ne vous montrez pas, ma mère ; je vais m’avancer en tapinois… »

Les carreaux frémissaient imperceptiblement. M. Le Tellier avançait la tête avec précaution. Il évoquait le paysage qui allait lui apparaître : la pelouse montante, ceinturée de bois, sur l’escarpement du Colombier dominateur ; et il s’émouvait grandement à supputer quels personnages, quelle machine habitaient ce décor…

Derrière lui, Mme Arquedouve, se retenant de haleter, attendait qu’il parlât.

Il vit venir, dans le cadre de la fenêtre, les arbres de la métairie, — la pente de la montagne, — le bois, — le commencement de la pelouse-clairière, — le quart de celle-ci, — le tiers, — la moitié…

— « Qu’est-ce qu’il y a, Jean ? Vous avez tressailli… Mais dites-moi donc … »

— « Ah ! c’est la joie, ma mère ! » s’écria M. Le Tellier dans l’allégresse. « Maxime… Maxime est là !… Il a pu s’échapper. Ah !… Maxime, mon enfant ! j’accours ! »

— « Mais, Jean, Maxime est là tout seul ? »

— « Oui, seul au milieu de la pelouse. Il est assis au milieu de la pelouse… Laissez-moi descendre, courir… Je crois qu’il a besoin qu’on le soigne… »

— « Allez ! allez vite !… — Maxime est revenu ! » répétait joyeusement la grand’mère.

Et elle s’en fut par tout le château, réveillant ses filles, le docteur, les domestiques, et leur apprenant la nouvelle enchanteresse.

— « Maxime est revenu ! Il s’est échappé de là-haut ! Venez ! Venez ! »