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le fameux vendredi 6 septembre

gantesque ; et puis cette phrase cent mille et cent mille fois redite :

— « Voilà le Prolétaire qui s’enlève ! »

Ils le voyaient. C’était un long cigare effilé, jaune, vermeil. Il montait, satiné de reflets matinaux. Dans les lorgnettes, on distinguait l’hélice qui tournait avec des lueurs d’éclair…

— « Voici d’Agnès ! Voici l’Épervier maintenant ! »

— « Hé ? si petit ? cette petite chose qui plane, qui va et vient ?… »

— « C’est lui ; mais vous voyez bien qu’il décrit des spirales autour du dirigeable… »

— « Ah ! ils sont de niveau !… »

— « De niveau avec les ballonnets… »

— « Au delà des ballonnets !… »

On suivait passionnément les évolutions de l’aéroplane et de l’aéronef. Le Prolétaire, majestueux, vira de bord et mit le cap sur Meaux. On ne l’avait plus de profil, mais de face. Il ressemblait ainsi à quelque sphérique de faible dimension. L’Épervier, près de lui, étendait ses ailes rigides. C’est de la sorte qu’ils devaient passer la ligne de départ ; on le comprenait.

Alors tonna le coup de canon signal, tiré par une coulevrine des Invalides antérieure aux montgolfières et maintenant deux fois historique. Alors tonna le coup de canon pathétique, somptueux, solennel, à qui répondit une incalculable clameur populaire, et qui roula sur Paris en échos d’enthousiasme et de gloire.

Santus et d’Agnès étaient partis.

Une joie énorme trépigna le plomb des terrasses. Ils venaient droit sur le carrefour. Les ombrelles se fermèrent et, plus haut que tout, les cinématographes découpèrent leur silhouette prévue. Les lorgnettes affublaient les gens de deux longs yeux de langouste noire. Elles leur montraient le Prolétaire et l’Épervier côte à côte, de plus en plus gros, le Prolétaire jaune et l’Épervier… ah ! bleu ! Bleu, l’Épervier !… La nouvelle courut à travers la foule ainsi qu’un feu follet retentissant. Bleu ! le monoplan était bleu ! On ne s’y attendait pas, mais on était content que cet oiseau fût bleu, couleur du temps et