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le péril bleu

Ce monsieur avait grande allure. Il portait le brassard blanc des commissaires officiels et tenait contre sa poitrine un cahier rouge. Il était suivi d’un autre monsieur en costume de voyage. Quelqu’un le reconnut. Son nom voltigea de bouche en bouche, pendant que le préfet de police, chapeau bas, se mettait aux ordres de M. Le Tellier.

L’astronome exerçait une manière de dictature. Les masses craintives, en mal de faiblesse, avaient flairé sa compétence, et l’adoptaient comme protecteur. Il feuilleta posément le cahier rouge, puis le serra dans sa poche. Ensuite, escorté d’un état-major de personnages divers, il entreprit d’accomplir le tour de l’espace impraticable en le frappant du plat de la main…

L’air, à chaque gifle, rendait un son mat.

Un agent l’imita ; ses camarades, rassurés, se mirent également à claquer l’atmosphère impénétrable ; si bien que tout le cordon tapait, et qu’ils semblaient procéder à un exercice de passage à tabac simulé. Cette boxe dans le vide faisait cependant un bruit de lavoir. M. Le Tellier s’empressa d’y mettre fin. Mais il avait suffi de cette brève démonstration d’ensemble pour révéler visuellement la présence d’un grand corps invisible et le dessin qu’il affectait à la hauteur des agents. Le public des étages supérieurs l’avait saisi d’un coup d’œil, et, comme on n’oubliait pas la lézarde inexplicable du Pavillon, les esprits voltèrent et l’événement changea de formule : « Une grande chose oblongue, invisible, venait de tomber du ciel, après avoir failli terrasser le Prolétaire et chavirer l’oiseau bleu ».

M. Le Tellier, continuant sa ronde, palpait toujours ; mais, aux deux bouts de la chose, il lui fallut un escabeau pour l’atteindre : les extrémités s’en relevaient ; l’une d’elles, d’ailleurs, correspondait à la terminaison de l’éraflure dans la rotonde de Hanovre, et cette éraflure finissait à deux mètres du trottoir.

L’autre extrémité, dans la rue de la Chaussée-d’Antin, fut l’objet d’une attention soutenue de la part de l’astronome. Un escabeau plus élevé vogua par-dessus les