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l’épave de l’air

l’heure. Nous pouvons agir, mais avec la plus extrême prudence.

» Il y a là dedans des êtres du vide qui ne sont pas morts. Donc là dedans il y a encore du vide ; l’air — dont l’infiltration a provoqué la descente — n’a pas tout envahi, loin de là. Ceci nous donnera du mal. Sans compter que cette substance si dure… Enfin, pour faciliter notre tâche et notre intelligence de la question, supposons, n’est-ce pas, que nous allons manier une chose coulée à fond dans la mer. (Car on peut appliquer aux corps plongés dans l’air tout ce qu’on dit des corps plongés dans l’eau, et ici notamment toutes proportions se trouvent gardées.) — Méfiez-vous aussi des tours que pourrait vous jouer l’invisibilité. Somme toute, sous ce rapport, ce qui se passe est l’opposé de ce que raconte le cahier rouge : au lieu d’être la réunion de quelques personnes exceptionnellement visibles dans un monde invisible, c’est un objet exceptionnellement invisible dans un monde visible.

» M. Virachol, de la patience ! et de la prudence ! Ne risquons pas notre belle vie pour extraire de là deux ou trois brutes qui succomberont dès qu’elles seront à l’air. C’est cela que vous ne comprendrez jamais ! Comme des poissons, M. Virachol ! comme des poissons ! Y êtes vous ?…

» Et maintenant, qu’on veuille bien suivre mes instructions. »

Ici commence vraiment l’inénarrable découverte de l’aéroscaphe.

Sous la direction de M. Le Tellier, à qui le duc d’Agnès servait de secrétaire, chacun s’ingénia de son mieux à se procurer de la chose un spectacle tactile. M. d’Agnès notait scrupuleusement les trouvailles de M. Le Tellier.

On apporta des échelles qui furent dressées contre l’invisible. Elles avaient l’air d’échelles magiques, penchées en équilibre instable. Ceux qui les employèrent semblaient de merveilleux acrobates se jouant de la pesanteur au point de l’annuler. Parvenus à cinq mètres du sol, ils prenaient pied à même le néant, puis, avec mille précau-