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le péril bleu

enlèvement ne s’est produit. Nous avons donc affaire à l’entreprise assez modique d’un groupe de Sarvants savants, de ceux qui, je suppose, jouent le rôle de cervelle dans leurs singuliers assemblages. — Eh bien, dites-moi, le résultat de cette campagne est-il encourageant pour eux ? Il s’en faut de tout. D’une part, le sous-aérien s’est perdu corps et biens ; et d’autre part (ici, la voix de l’orateur s’embarrassa de sanglots retenus) et d’autre part, messieurs, leurs captifs… — excusez-moi, — leurs captifs succombent… avec une effr… effrayante rapidité. Messieurs les membres du gouvernement sont mieux placés que personne pour vous dire avec quelle horrible fréquence les cadavres tombent maintenant du ciel sur le triste Bugey…

» Un instant, aveuglé par mes larmes, trompé par mes propres chagrins, j’ai pu croire à l’énormité du Péril Bleu ; j’ai pu croire qu’il menaçait tous les hommes dès à présent. Je suis édifié. Les Sarvants ne sont pas à la veille de renouveler un essai d’aérarium qui échoua dans une catastrophe navale et dans un insuccès d’élevage.

» Que faire ? Préparons l’avenir, si lointain qu’il paraisse. Et que ceux dont les parents sont aux griffes des araignées attendent courageusement la chute de leurs corps ! »

M. Le Tellier s’assit lourdement, comme un voyageur au terme de sa course. Ses collègues l’entouraient et lui serraient les mains. Dans le bruit de leurs compliments, on entendit le ministre de la Guerre s’obstiner :

— « Il faut détruire les Sarvants ! »

Le président de la République, sortant d’un rêve, dit alors, avec le joli accent de Gascogne :

— « Hé, dites un peu, monsieur Le Tellier ! Vous qui fûtes le Christophe Colomb, le Vespuce de cette Amérique, ou mieux encore : le Le Verrier de ce Neptune… Dites un peu ! Ces territoires superposés aux nôtres, ces gens sous lesquels nous vivons depuis sans cesse… Hé, bé ! est-ce que cette phrase-là n’est pas absurde ?… »

— « Toute chose paraît absurde, monsieur le président, lorsqu’elle est très neuve, très étrange, et que nous l’apercevons tout à coup, au dépourvu, sans qu’une chaîne d’épisodes ou de raisonnements nous ait amenés