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Page:Renard - Le Péril Bleu, 1911.djvu/339

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le péril bleu

se cachaient sous le rideau soufre, rigide et bombé, qu’ils déployaient d’une façon magicienne.

Enfin, la couche d’arnoldine étant parfaite, un long cigare, de la couleur des canaris, se trouva dans le cirque ; et, devant sa ressemblance frappante avec un dirigeable — ressemblance que la teinte citrine accentuait encore — chacun s’étonna bruyamment.

Arnold rentra dans le sous-aérien pour barbouiller le fond de cale…, et quand il ressortit par l’une des écoutilles, aux accents de l’hymne suédois, seul, debout au milieu de l’arène, sur le dos de l’aéroscaphe qu’il semblait terrasser, — on lui fit une apothéose. La couleur ! La couleur ! Principe de visibilité sans lequel nos yeux seraient d’inutiles merveilles ! La couleur, qui seule justifie l’existence de la vue ! La couleur, il l’avait donnée à la matière clandestine, et maintenant tout le monde voyait l’invisible !

Arnold salua. Les taches de sa blouse ensoleillaient son geste, et, de sa brosse imbibée d’arnoldine, des gouttes d’or tombaient superbement.

La foule se retira comme à regret. Quand le dernier spectateur eut quitté le Grand-Palais, la peinture était sèche, et la nuit sans lune et sans étoiles était venue, si épaisse, que l’aéroscaphe aurait pu se croire encore invisible, perdu dans les ténèbres qui abolissent la couleur et crèvent nos yeux.

Or, au cœur de cette ombre, tandis qu’un banquet de quinze cents couverts alimentait le congrès des savants et fêtait la victoire des hommes sur l’invisible, — au cœur de cette ombre, une œuvre obscure, inexorable, s’accomplissait, — l’œuvre incompréhensible de forces inconnues, infinitésimales, — une œuvre d’atomes et de corpuscules en travail, en lutte peut-être…

Cela se passa dans l’ombre et le silence. On ne sait pas comment cela s’est passé.

Belloir, qui vint dès le potron-jaquet pour démonter le cirque, ne trouva plus le sous-aérien, mais seulement, à sa place, un tapis de poussière jaune serin, naviculaire.