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l’attente et l’arrivée des renforts

beau, qu’on aurait dit un prince Charmant délivré, sur l’heure, de quelque affreuse métamorphose.

Il expliqua son retard :

— « J’aurais voulu partir dès hier, aussitôt reçue votre dépêche, monsieur. Mais le préfet de police tenait beaucoup à m’adjoindre certain de ses auxiliaires qui n’était libre qu’aujourd’hui. Et je serais venu en aéroplane, malgré le temps, si je n’avais eu à transporter deux personnes en sus de mon chauffeur. — Je vous présente M. Garan et M. Tiburce. »

M. Le Tellier tendit la main aux deux hommes. Le premier la secoua rondement. Mais le deuxième devait être franc-maçon ou quelque chose de similaire, car il chatouilla d’un attouchement fort indiscret la paume et les doigts de l’astronome. C’était presque impudique. M. Le Tellier, cramoisi, poussa les voyageurs dans son cabinet.

Il leur raconta, sans perdre un instant, tout ce qu’il savait de l’aventure désastreuse, et n’eut garde d’omettre la conversation qu’il venait d’avoir avec son fils et son secrétaire. On l’écouta religieusement. Toutefois, lorsqu’il entama le chapitre des hypothèses, l’un des étrangers, M. Garan, l’interrompit.

Ce personnage, de corpulence moyenne et d’allure martiale, avait le teint basané, des joues bleues, et portait ses cheveux poivre et sel taillés en brosse. Une moustache trop noire, beaucoup trop menaçante et infiniment trop grande pour lui, semblait sous son nez deux cornes de bison. Des sourcils considérables et de même couleur imitaient sur ses yeux une autre moustache, fourvoyée. Et il retroussait constamment vers le ciel ce quadruple accroche-cœur.

— « Excusez-moi », dit-il, « si je vous arrête là. Mais nous connaissons, à la Préfecture, l’histoire des déprédations bugeysiennes, et je les ai dites à ces messieurs, chemin faisant. Quant aux suppositions qui pourraient vous être venues, je préfère ne pas les savoir. Laissez-moi d’abord me rendre compte de ce qui est. Il convient d’élucider le point mystérieux du Grand-Colombier. Ensuite, nous discuterons. C’est une méthode des plus recommandables. »