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le carnaval du mystère

— Tu ne sais rien encore, toi, — toi qui viens de vivre une année en marge de l’humanité. Sache donc.

» Depuis ton départ, mon ami, j’ai entendu le son d’une terrible cloche ! Un affreux tocsin d’alarme !… Il y a six mois, un soir, Nora m’a trouvé ici, sans connaissance, frappé d’une première attaque… Oh ! je sais ce que c’est ! Je m’y attendais. Par bonheur, ce premier coup, dont j’aurais pu mourir ou rester stupide, n’a pas été définitif. Grâce au ciel, j’en suis revenu, lucide, avec toute ma tête et toutes mes forces ! Mais bientôt, je le sais, le mal qui me grève m’abattra de nouveau, brutalement. Alors, ce sera le cercueil ou la chaise à roulettes. Le néant ou le gâtisme !… Comprends-tu, maintenant, pourquoi je travaille sans répit ? Tout ce que j’ai sous le crâne, encore, d’inexprimé, comprends-tu pourquoi je veux l’écrire ?

— Allons, allons, répliquai-je en masquant mon désarroi, tu exagères, j’en suis certain !

— Non pas ! Je sais, te dis-je ! Ce sera demain, ou la semaine prochaine, ou le mois suivant. On me retrouvera, tombé sur ma tâche, inerte… Et devinerais-tu ce que je redoute davantage ? Eh bien, ce n’est pas la mort. Non, non, ce qui m’obsède, ce n’est pas l’idée de disparaître soudain, en pleine vigueur intellectuelle. C’est la perspective, vois-tu, de me survivre à moi-même sous la forme abjecte