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le carnaval du mystère

et le grotesque, faisait de vous un nabot, un cyclope, une boule, une planche. Cette succession de charges abolissait en vous le sens du naturel ; si bien que des miroirs plans, placés parmi les autres, semblaient, comme eux, fausser la vérité ; philosophiques, ils vous faisaient prendre pour une caricature la reproduction fidèle de votre aspect.

Bobette continuait à pouffer. Mais Lulu, tout en riant, mettait la main devant ses yeux. Et Mady avait si peur des reflets injurieux, qu’il fallut la forcer à les considérer, — ce qui ne se fit pas sans que les assistants ne prissent plaisir à sa vigoureuse résistance.

J’observais Christiane, non sans pitié.

Elle aussi passait devant les miroirs. Mais muette et grave. Ils lui montraient une humanité. difforme où elle cessait d’être anormale. Par la vertu de leurs courbures, ils levaient sinistrement le charme qui la frappait. En créant un monde burlesque et hideux, ils recréaient le monde à son image. Lulu, Bobette et Mady, si droites et si radieuses, devenaient comme elle : des bossues, des infirmes, des monstres !…

Je la suivais. Elle ouvrait de grands yeux tout flambants de pensée. Elle était un peu pâle. On la sentait sourdement émue.

Les trois autres, par leurs manifestations, persistaient à réjouir le public.

Tout à coup, Christiane s’immobilisa. Je la