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les moutons

la mère s’attendrit. D’ailleurs, on les mate.

Il la prend par les épaules et l’isole dans une cage. Il lui noue au cou une cravate de paille pour la reconnaître, si elle s’échappe. L’agneau l’a suivie. La brebis mange avec un bruit de râpe, et le petit, frissonnant, se dresse sur ses membres mous, essaie de téter, plaintif, le museau enveloppé d’une gelée tremblante.

— Et vous croyez qu’elle reviendra à des sentiments plus humains ? dit Poil de Carotte.

— Oui, quand son derrière sera guéri, dit Pajol : elle a eu des couches dures.

— Je tiens à mon idée, dit Poil de Carotte. Pourquoi ne pas confier provisoirement le petit aux soins d’une étrangère ?

— Elle le refuserait, dit Pajol.

En effet, des quatre coins de l’écurie, les bêlements des mères se croisent, sonnent l’heure des tétées et, monotones aux oreilles de Poil de Carotte, sont nuancés pour les agneaux, car, sans confusion, chacun se précipite droit aux tétines maternelles.

— Ici, dit Pajol, point de voleuse d’enfants.

— Bizarre, dit Poil de Carotte, cet instinct