observaient leur frère d’une manière sournoise, prêts à éclater de rire au premier signal. Mme Lepic, petite cuillerée par petite cuillerée, donnait la becquée à son enfant. Du coin de l’œil, elle semblait dire à grand frère Félix et à sœur Ernestine :
— « Attention ! préparez-vous ! » —
— « Oui, maman. » —
Par anticipation, ils s’amusaient des grimaces futures. On aurait dû inviter quelques amis. Enfin, Mme Lepic, avec un dernier regard aux aînés comme pour leur demander : « Y êtes-vous ? », levait lentement, lentement la dernière cuillerée, l’enfonçait, jusqu’à la gorge, dans la bouche grande ouverte de Poil-de-Carotte, le bourrait, le gavait, et lui disait, à la fois goguenarde et dégoûtée :
— « Ah ! ma petite salissure, tu en as mangé, tu en as mangé, et de la tienne encore, de celle d’hier. » —
— « Je m’en doutais presque » — répondait simplement Poil-de-Carotte, sans faire la figure réjouissante qu’on espérait.
Il s’y habituait, et quand on s’habitue à une chose, elle finit par n’être plus drôle du tout.