Page:Renard - Sourires pincés, 1890.djvu/43

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bonne amie est gentille, adorée. Elle s’est coupé cette mèche dans une excellente intention. C’est presque un sacrifice de sa part, et, si j’y prenais goût, si j’en redemandais, elle en ferait vite une calvitie. Soit encore ! mais il me faut noter simplement mon impression dans toute sa grossièreté : ces cheveux-là me dégoûtent ! Tout à l’heure, je les portais, en les tenant à distance, comme une ordure dans du papier. Les voilà qui gisent au creux des « Fleurs du mal » ! Je ne les ra-mas-serai pas !

Au lieu de m’imaginer le mouvement gracieux de ma bonne amie qui les coupe, le bon sourire de ses lèvres, le brillant de ses yeux, et le tendre baiser qu’elle ajoute à cet amical souvenir pour lui porter bonheur, je ne vois qu’un peignoir de coiffeur malpropre, où des cheveux dégringolent en légères avalanches, à chaque cricri du ciseau ; des cheveux qui se recroquevillent, agonisants, qui sont morts, qui piquent le cou et font des hachures dans les oreilles.

Oh ! je n’en fais pas facilement accroire à mon cœur, moi ! Des scrupules montrent le bout du nez, comme des souris peureuses. Ma chatte-mite répugnance les fait sauver.