Page:Renard Oeuvres completes 1 Bernouard.djvu/225

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Benoit ne bougeait pas et ne répondait que par un petit hoquet, réjoui d’être couché au frais.

Moru, indécis, se grattait les cheveux, trouvait qu’après tout on était bien là, étendu, disposé à en faire autant ; puis il roulait ses yeux autour de lui.

La rivière, d’abord étroite, rapide, se brisait contre les pelles du pont fragile et tremblant, tombait en une cascatelle, rejaillissait sur un lit de bois et se mêlait à l’eau presque dormante d’un petit bassin dont elle sortait en une queue démesurée.

Autour du bassin, des saules baignaient leurs bras minuscules.

Au pied du pont, tirant faiblement sur sa chaîne simplement bouclée, dans un tournant, un petit bachot dansait mollement et plongeait avec un mouvement de va et vient.

Moru le regarda longuement en se dandinant, étonné de le voir là, tout seul, comme une carcasse de gros poisson émergée.

Puis une idée lui vint, une bizarre idée d’ivrogne qui a gardé juste assez de lucidité pour une farce. Il se baissa vers Benoit et cria :

— Benoit !

Benoit dormait, allongé, les mains jointes sur le ventre, la bouche ouverte, la face illuminée de rêves béats*

Moru le prit par les deux pieds et le fit glisser le plus délicatement possible sur l’espèce de terrasse en pierres brutes et moussues qui servait de soubassement au pont.

Puis il alla au bachot, le détacha, et l’amena près de Benoit. Il le vida du peu d’eau de pluie qu’il contenait et, abaissant jusqu’à lui les branches d’arbres qui pendaient sur sa tête, il en arracha des