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Page:Renard Oeuvres completes 1 Bernouard.djvu/305

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JULES RENARD


et s’arrêta près de Marseau, avec lequel il donnait, tous les soirs, l’exemple des longues causeries prolongées bien avant dans la nuit. Le plus souvent, les élèves avaient cessé leur conversation, par degrés étouffée, comme s’ils eussent peu à peu tiré leur drap sur leur bouche, et dormaient, que le maître d’étude était encore penché sur le lit de Marseau, les coudes durement appuyés sur le fer, insensible à la paralysie de ses avant-bras et au remue-ménage des fourmis courant à fleur de peau jusqu’au bout de ses doigts. Il s’amusait de ses récits enfantins et le tenait éveillé par d’intimes confidences et des histoires de cœur. Tout de suite, il l’avait chéri pour la tendre et transparente enluminure de son visage, qui paraissait éclairé en dedans. Ce n’était plus une peau, mais une pulpe, derrière laquelle, à la moindre variation atmosphérique, par exemple, s’enchevêtraient visiblement les veinules, comme les lignes d’une carte d’atlas sous une feuille de papier à décalquer. Marseau avait d’ailleurs une manière séduisante de rougir, sans savoir pourquoi et à l’improviste, qui le faisait aimer comme une jeune fille. Souvent, un camarade pesait du bout du doigt sur l’une de ses joues et se retirait avec brusquerie, laissant une tache blanche, bientôt recouverte d’une belle coloration rouge qui s’étendait avec rapidité, comme du vin dans de l’eau pure, se variait richement et se nuançait depuis le bout du nez rose jusqu’aux oreilles lilas. Chacun pouvait opérer soi-même, et Marseau se prêtait complaisamment aux expériences. On l’avait surnommé Veilleuse, Lanterne, Bec de Gaz et même Quatorze-Juillet. C’était un peu long, mais si symbolique ! Cette faculté de s’embraser à volonté lui avait fait bien des envieux.