Page:Renard Oeuvres completes 1 Bernouard.djvu/336

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
244
SOURIRES PINCEÉS


— Je crois qu’il va être bon, cette année

— Oui-da ! tu le crois, carne ! disait le vieux, redressé, et se croisant les bras dans la vapeur d’or de la cuve, comme un lutteur en pleine victoire.

— C’est mon avis, ajoutait la vieille, encouragée, artificieuse.

— Elle dit que c’est son avis ! criait le vieux, les mains levées vers les nues, près de fondre à pieds joints sur la vieille et de s’abattre sur elle, toutes griffes dehors.

Mais, apparemment, la peur qu’un moment d’arrêt ne fît tourner son vin le calmait, et il se remettait à piétiner, à broyer le raisin comme un ennemi personnel, les talons en feu, usant sa dernière vigueur, farouche et, par l’odorat, déjà ivre.


IV


Aux soirs tièdes de l’automne, le vieux, sa soupe vite avalée, s’asseyait près de la fenêtre ouverte, et, recueilli, méthodique dans sa jouissance, élevait son verre comme un ciboire, saluait la lune montante, la lune mangeuse de brumes, et buvait lentement, n’étant pas de ceux qui gaspillent. S’il effrayait les oiseaux et les petits enfants, il attirait sans effort les hommes qui passaient sur la route.

— Cousin Raponot, n’entrez-vous point ?

Raponot n’entrait pas, mais il prenait, joyeux en dedans, le verre que lui tendait le vieux par la fenêtre, et tous les deux buvotaient le vin nouveau, avec la même attention et une égale connaissance de ses vertus. Du côté de la cheminée, ils entendaient le souffle flûteur de la vieille sur ses pommes de terre.