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SOURIRES PINCÉS


sens, comme les billes d’ivoire d’un jongleur.

Pierre ne répondit, même pas, et, sa soupe avalée avec précipitation, il s’en alla en pleine liberté, sifflotant.

Il passa dehors la moitié de la nuit.

Comme il rentrait, insoucieux, à son écurie, une détonation éclata tout près de lui. En même temps, un grand cri fut poussé. Pierre se précipita et retint son père prêt à tomber, Leroc venait en effet de se loger une balle dans le bras gauche. Il criait, comme égorgé. Pierre le traîna à la maison. Ce fut une stupéfaction. Les deux sœurs s’étaient assises sur leur lit. Elles se frottaient les yeux, ouvraient la bouche, et, pâles, collées l’une contre l’autre comme des figurines de porcelaine, elles tâchaient de comprendre. En chemise, sèche et affolée, la Griotte avait dévalé du haut de son grand lit. Une mèche de cheveux gris s’était échappée de son serre-tête et se tordait au creux de ses épaules maigres. Le bras de Leroc pendait misérablement. On le tâtait, on lui disait :

— Fais donc voir, montre donc ! Mon pauvre vieux, comment diable as-tu fait ton coup ?

Mais, à chaque attouchement, il se débattait avec des plaintes rauques.

— Laissez-moi. Allez-vous me laisser ?

Toute la nuit, il gémit à lui seul comme un orchestre d’instruments à vent. Un instant, il se calmait et, d’une voix enfantine, expliquait l’aventure :

— J’ai d’abord voulu tirer, et puis je n’ai plus voulu, et, en même temps que j’ai tiré, je me suis retenu. Enfin, je ne sais pas !

Honteux de sa maladresse, incapable de supporter