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L’HEURE DU BERGER


Répondez ! Dans la nuit de la tombe profonde,
S’il vous souvient encor d’une joie ici-bas,
Si vous avez regret de quelque chose au monde,
C’est d’une heure semblable, ô grands morts, n’est-ce pas ?

Et vous qui, malheureux, avez vécu dans l’ombre,
En proie aux tourments vils : la faim avec le froid,
Et dont rien n’a fermé les blessures sans nombre
Que l’éternel sommeil dans le cercueil étroit ;

S’il vous advint, le temps que dure un éphémère,
De presser une main dans la vôtre, d’avoir
La douceur d’un baiser à votre lèvre amère
Et l’éclair d’un amour à votre horizon noir ;

Oh ! vous consentiriez, n’est-ce pas, à revivre ?
A laisser les douleurs torturer votre chair,
A voir, de l’aube au soir, tomber comme du givre
Tout ce que vous rêviez, tout ce qui vous fut cher ?

Pour sentir de nouveau venir à votre lèvre
Ce baiser qui si haut vous fit voler un jour,
Pour avoir la superbe et l’invincible fièvre
Du premier rende-vous dans le premier amour.

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