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RECUEIL INTIME

Et je l’avais frappée, et j’avais sur la grève,
Avec son corps saignant, précipité son rêve.

Je m’étais renié, j’avais persécuté,
Homme, l’indépendance, artiste, la beauté,
Au lieu de saluer l’hôte que Dieu m’envoie,
Au lieu de respecter la faiblesse et la joie,
J’en avais eu mépris, et, le front haut, l’œil fier,
En face du soleil, en face de la mer,
Sur l’oiseau qui chantait j’avais commis le crime.

Vers le soir, de nouveau, j’allai voir ma victime,
Elle ne faisait plus ni mouvements ni cris,
Ses yeux avaient perdu leur éclat ; je compris
Que pour l’oiseau blessé venait l’heure de l’ombre.
Espérant que la mort lui paraîtrait moins sombre
Sur les bords où jadis il fut, à peine éclos,
Rapide je repris la route des grands flots.
Debout sur l’Océan comme un disque qui roule,
Le soleil de ses feux diamantait la houle.
La terre, à l’orient, immobile et sans bruit,
Se livrait lentement au baiser de la nuit.
Quand j’eus posé l’oiseau sur la roche connue,
Il tendit faiblement ses ailes vers la nue,