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Page:Renee-Dunan-Galantes-reincarnations 1927.djvu/39

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ix


Quel beau soleil il faisait, ce jour-là ! Dans un joli ciel de lapis-lazuli, d’un bleu à donner le vertige, de petits nuages couraient follement en se faisant des mignardises. La rivière se déroulait avec indolence, en méandres alanguis, entre deux rives de verdure claire, où çà et là s’étalaient aussi de minuscules anses de sable fin. Il faisait chaud. L’air sentait le lilas, le foin coupé depuis la veille et la cire à cacheter. Un joli silence, un silence ornemental, comme devraient le cultiver les conférenciers des salons mondains, un silence tout en petits bruits imperceptibles et fondus dans la masse, m’entourait et m’aurait donné envie, si j’avais alors connu cette littérature, de réciter le « Lac » de Lamartine en pleurant sur la brièveté de tous les bonheurs…

Je gisais sur l’herbelette, vierge encore de pas humains, dont les tigelles me chatouillaient doucement. Une libellule se posa un instant sur ma frange. Elle était bleue comme de l’or et fauve comme une fleur de lavande. Ensuite, une fourmi amicale me grimpa sur l’échine, suivie par un insecte charmant d’un rose vert-de-grisé qui défiait les mots et la peinture.

Et le soleil, de ses rayons allongés comme les tentacules d’un poulpe de feu, me passait sa chaleur sur la trame, avec une cordiale circonspection.

J’étais devenue serviette, et même serviette éponge…

Cependant, tout près de moi, j’ouïs soudain de petits cris. D’un buisson où, sans doute, elles se déshabillaient, deux jeunes filles sortirent en courant. Leurs rires flottaient dans l’air, comme des fils de la vierge. L’une était nue, d’une nudité si délicate qu’on la devinait ignorée jusqu’à ce jour de tous regards humains. L’autre portait une chemise encore, et semblait beaucoup plus galante, parce qu’au vent de la course on voyait, par brefs inter-