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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

trois minutes après, me prendre le front à pleines mains et montrer la souffrance la moins douteuse.

Un instant se passa encore. Enfin j’assurai n’y pouvoir tenir et me levai. J’embrassai Marie Martoilley en évitant de revoir la mère qui me crut ou devait me croire encore chez sa fille. Je sortis avec promptitude et m’enfonçais dans une rue de petit négoce pour éviter de traverser les grandes artères où beaucoup de gens eussent pu me reconnaître et dire plus tard chez moi qu’à cette heure-là je passais dans la rue. Je m’étais promise de demander ensuite à Marie Martoilley le silence sur ma migraine pour éviter d’apprendre à ma mère que j’avais lu la veille jusqu’à trois heures du matin, chose interdite. Tout cela était très bien combiné. Les choses se passèrent sans anicroche. Je suivis une route dont j’avais le plan dans la pensée. D’abord la rue du Blé, puis celle de la Préfecture plus cossue, mais silencieuse et morne. De là je glissais par le passage Malevin. Il me conduisait à la rue Juiverie. Nous avions là des amis, car des juifs il n’en restait aucun, mais des entrepôts et des garages s’y suivaient. De temps à autre, un vaste immeuble se dressait avec, immuablement, au balcon du premier étage une glace ronde, portée par une tige articulée. Cet objet permettait sans descendre ni se montrer de voir les gens qui sonnaient à la porte.

Je sortis de la rue Juiverie par une venelle étroite et assez malpropre qui donnait déjà idée de ce que devaient être les ruelles. Cela se nommait le Grenier-à-sel. Au milieu de cette voie un homme vernissait paisiblement la caisse d’un tilbury de modèle très primitif.

Il quitta ses tampons à vernis pour me voir passer. Jamais un spectacle aussi attrayant ne devait charmer les yeux de ces ouvriers du Grenier-à-sel. Je m’aperçus alors que j’avais emporté avec